Épisode 1394 : Le 18 novembre 2025, plusieurs députés de la majorité ont déposé une proposition de loi visant à interdire l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 15 ans. L’annonce a immédiatement déclenché un débat national.
Entre appels à une “urgence sanitaire” et interrogations sur la faisabilité réelle du projet, la France se retrouve face à un dilemme : comment protéger les plus jeunes sans les exclure d’un espace social devenu central dans leur vie quotidienne ?
Derrière cette proposition, il y a :
- une pression politique forte,
- une inquiétude croissante des parents,
- une communauté scientifique qui alerte depuis des années,
- et l’arrière-plan européen du Digital Services Act, qui ouvre la porte à une nouvelle ère de régulation.
Mais la question reste entière : interdire est-il le bon outil, ou le symptôme d’un manque chronique de régulation depuis 10 ans ?
🧩 1. Pourquoi cette interdiction maintenant ? Les arguments des défenseurs du texte
🎯 1.1. Une situation présentée comme une “urgence sanitaire”
Selon les députés à l’origine du texte, les réseaux sociaux sont devenus un facteur majeur d’anxiété, de troubles du sommeil, de harcèlement et de dépendance chez les mineurs.
Les travaux de la commission TikTok publiés en septembre sont très clairs : l’algorithme de la plateforme est accusé de pousser certains adolescents “vulnérables vers le suicide” (rapports cités dans Le Monde).
Les auditions ont présenté un constat inquiétant :
- des contenus violents accessibles en quelques secondes,
- des phénomènes d’addiction liés à la gratification immédiate,
- des dérives algorithmiques observées dès 11–12 ans,
- une augmentation documentée des troubles anxieux et de l’isolement social.
Certains députés parlent même d’un “scandale sanitaire silencieux”.
🧪 1.2. Un consensus politique qui n’a jamais été aussi large
Le texte est porté par la majorité, mais aussi soutenu par certains élus de l’opposition, un fait rare.
121 députés ont co-signé la proposition, preuve que le sujet dépasse les clivages habituels.
La députée Laure Miller, rapporteuse de la commission TikTok, résume ainsi l’esprit de la loi :
“Chaque mois qui passe sans régulation, des jeunes sont sacrifiés.” (Le Monde)
🏛️ 1.3. L’Europe ouvre la porte — la France s’y engouffre
Le 14 juillet 2025, la Commission européenne a publié des lignes directrices autorisant explicitement chaque État membre à fixer un âge minimum d’accès aux réseaux sociaux.
En clair : le DSA rend enfin légal ce que la France réclame depuis des années.
Comme le souligne le communiqué du ministère du Numérique :
“Cette étape ouvre la voie à l’interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans en droit national.” (Communiqué officiel du 14 juillet 2025)
⚙️ 2. Le cœur du texte : interdiction, vérification d’âge et couvre-feu numérique
🛑 2.1. L’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans
Les plateformes devront :
- refuser la création de comptes pour les moins de 15 ans,
- suspendre les comptes existants,
- mettre en place des systèmes robustes de vérification d’âge.
La définition même de “réseau social” risque toutefois de devenir un champ de bataille juridique :
TikTok ? Instagram ? Oui.
Mais YouTube ? WhatsApp ? Discord ?
➡️ Les députés reconnaissent eux-mêmes que ce sera “objet de longues discussions”.
🌙 2.2. Un couvre-feu numérique pour les 15–18 ans
C’est probablement la mesure la plus controversée du texte :
➡️ accès coupé aux réseaux sociaux de 22h à 8h, automatiquement.
Une première mondiale.
Mais aussi un casse-tête technique : comment vérifier l’âge ET détecter l’utilisateur réel derrière l’écran ?
📵 2.3. Extension de l’interdiction des smartphones aux lycées
Après les collèges, les lycées.
Une mesure qui vise à “redonner l’école à l’école”, mais qui risque d’être difficile à appliquer selon plusieurs syndicats.
🧭 2.4. L’apparition de la “négligence numérique”
Une nouvelle notion juridique destinée à sensibiliser les parents, pas à les sanctionner.
Par exemple :
→ laisser un enfant de 6 ans seul toute la journée devant TikTok pourrait être considéré comme une négligence.
🧨 3. Les limites de l’interdiction : faisabilité, efficacité et risques
🔐 3.1. L’âge numérique reste incroyablement facile à mentir
Même avec une vérification d’âge avancée, la question demeure :
➡️ Un mineur déterminé pourra-t-il contourner les systèmes ?
Très probablement oui.
Les experts rappellent que :
- les VPN sont accessibles gratuitement,
- les identités peuvent être empruntées,
- les enfants contournent déjà les contrôles parentaux actuels.
📉 3.2. L’interdiction pourrait créer une “génération clandestine”
C’est l’un des risques majeurs :
pousser les jeunes vers des pratiques non régulées, non surveillées, voire toxiques.
Les jeunes pourraient :
- se déplacer vers des plateformes moins connues et moins sûres,
- utiliser des comptes empruntés à des adultes (parents, grands frères),
- se tourner vers des serveurs Discord privés.
🌐 3.3. L’effet d’exclusion : une fracture numérique aggravée
Certains sociologues alertent :
Les jeunes en difficulté sociale utilisent les réseaux pour créer du lien, accéder à des informations, trouver un soutien ou une communauté.
Les exclure pourrait renforcer leur isolement.
🛠️ 4. Réguler plutôt qu’interdire : une piste plus réaliste et plus durable
Beaucoup d’experts prônent des alternatives plus efficaces :
📚 4.1. L’éducation aux médias, oubliée du débat politique
Les enseignants réclament depuis des années :
- des heures dédiées à l’éducation numérique,
- des formations à la citoyenneté digitale,
- des partenariats avec des professionnels du social media.
👨👩👧 4.2. Former et accompagner les parents
La notion de “négligence numérique” va dans ce sens, mais elle reste symbolique.
L’enjeu est ailleurs : donner aux parents des outils concrets.
🏛️ 4.3. Faire peser la responsabilité sur les plateformes, pas sur les enfants
C’est une critique majeure, formulée par le président de la commission TikTok :
“Ce texte revient à faire porter la charge sur les jeunes plutôt que sur les plateformes.” (Le Monde)
L’Europe va dans l’autre sens : obliger les plateformes à modifier leurs algorithmes, limiter les contenus toxiques et assurer une modération efficace.
🎯 Conclusion : Interdire ou accompagner ? Le vrai choix de société
La proposition de loi met en lumière un vrai problème :
les jeunes sont surexposés à des contenus dangereux, et les plateformes n’en font pas assez.
Mais l’interdiction totale risque d’être :
- difficilement applicable,
- facilement contournée,
- socialement injuste,
- politiquement performative plus qu’efficace.
La vraie solution semble résider dans un trio :
éducation + régulation + responsabilisation des plateformes.Protéger les jeunes, oui.
Mais sans leur retirer l’accès à un espace numérique qu’ils devront, tôt ou tard, apprendre à maîtriser.

