Épisode 1410 :  Vous aussi vous l’entendez IRL ? Des “j’peux plus”, “c’est giga cringe”, “goat”, “choke”… On a l’impression que la conversation du quotidien s’est calée sur les codes de nos plateformes.

Petit point de contexte (histoire d’ancrer le débat) : une étude Preply/Censuswide indique que 40% des Français disent ressentir l’influence des réseaux sociaux sur leur langage au quotidien . Et surtout, l’écart générationnel est massif : 73,44% des 16–24 ans déclarent que les réseaux affectent leur langage .

1) Comment les réseaux ont changé notre rythme linguistique

Notre débit et notre manière de raconter se synchronisent avec nos scrolls.

TikTok & Reels : le langage “cuté”

La vidéo courte impose une narration “efficace” : on coupe, on accélère, on surligne l’émotion, on exagère.
On ne raconte plus une histoire “linéaire”, on la monte. Ça ressemble à :

  • une punchline d’entrée
  • une réaction (emoji vocalisé : “aaaah 😭”)
  • une micro-chute

L’invention d’une grammaire des réseaux

Idée clé : chaque plateforme fabrique ses règles implicites — et on les exporte dans la vraie vie.

  • TikTok : expressivité + contagion lexicale (“core”, “delulu”, etc.). Les sons viraux deviennent une grammaire : on répond par référence, par vibe, par imitation. Gimick musicaux comme chargééé
  • Twitch / Discord : hybridation oral-écrit (“let’s gooo”, “bro”, “PTDR mdr jpp”). On écrit comme on parle, on parle comme on écrit.
  • WhatsApp vocaux : retour de l’oral… mais contaminé par l’oral “public” (intonations d’influenceurs, storytelling très codifié).


“Notre grammaire est en bêta permanente : une trend = une règle temporaire.”

Le lexique social : quand les mots deviennent des mèmes

Les mots ne servent plus seulement à désigner, ils servent à signaler qu’on a la ref.

“ratio”, “rizz”, “goat”, “vibe”, “slay”… Ce sont des mots contextuels : leur sens vient autant du dictionnaire que du moment culturel.

Et il y a un autre langage qui s’impose : l’emoji comme ponctuation émotionnelle. Exemple : “😭😭😭” pour dire “c’est trop drôle”, même si on ne pleure pas du tout.

➡️ Ce lexique devient une monnaie sociale : tu l’utilises = tu montres ton appartenance.

2/ La jeunesse, l’argot et le langage comme capital social (Bourdieu)

Le langage est un outil de distinction sociale, pas juste un moyen de communication.

Chez Pierre Bourdieu, la langue n’est jamais neutre : elle fait partie de ce qu’il appelle le capital symbolique.
👉 La manière de parler donne de la valeur sociale : elle peut inclure, exclure, légitimer ou marginaliser.

Dans cette logique, l’argot des jeunes n’est pas un bug, c’est une stratégie sociale classique :

  • créer un langage que les adultes ne maîtrisent pas,
  • renforcer l’entre-soi,
  • affirmer une identité collective.

Ce mécanisme a toujours existé.

Ce qui change aujourd’hui, c’est le lieu de production de ce capital linguistique.

Avant, il se construisait :

  • dans la rue,
  • à l’école,
  • dans des sous-cultures locales.

Aujourd’hui, il se fabrique sur les réseaux sociaux, là où la jeunesse socialise, se montre et se reconnaît.

“Si on parle TikTok, c’est parce que TikTok est devenu un marché linguistique à part entière.”

3) Le langage comme signe d’appartenance

Parler “réseaux”, c’est afficher une tribu.

On reconnaît :

  • le dialecte “Twitter FR” (sarcasme, politisation, joutes verbales),
  • le dialecte “TikTok FR” (autodérision, exagération, hyper-réaction),
  • le dialecte “Discord/Twitch” (codes de communauté, private jokes).

Et ce n’est pas juste une impression : les données de perception montrent un fossé générationnel. Dans l’étude Preply/Censuswide, 73,44% des 16–24 ans disent être influencés linguistiquement par les réseaux, contre 20% chez les 55 ans et plus .

4) Limites et opportunités : dégradation ou adaptation ?

Les inquiétudes

L’étude Preply/Censuswide remonte plusieurs perceptions :

  • 23% des répondants disent faire davantage de fautes d’orthographe à cause des réseaux .
  • 19% déclarent utiliser davantage de mots anglais .

Et chez les plus jeunes, ça se renforce : 42% des 16–24 ans déclarent faire “plus de fautes en français” , et 37% des 16–24 ans disent utiliser davantage de mots anglais .

Les opportunités (énormes)

En face, il y a une autre lecture : les réseaux accélèrent la créativité linguistique.
Néologismes, hybridations (franglais, verlan remixé), nouvelles façons de raconter… La langue devient un produit vivant, remixable, communautaire.

Et c’est aussi cohérent avec une approche plus “sciences sociales” des réseaux : les plateformes sont des espaces où se rejouent des activités sociales, des formes de lien, et des codes de communication qui évoluent avec les usages .

Conclusion — Le Français est une langue vivante et c’est notre algorithme culturel

Les réseaux ne “tuent” pas la langue. Ils la mettent à jour.
Ils imposent des formats (vidéo courte, punchline, réaction), fabriquent des dialectes (TikTok, X, Discord), et transforment le vocabulaire en marqueur d’appartenance.



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